L’immunothérapie : une (nouvelle) révolution pour le cancer du poumon ?

L’immunothérapie : une (nouvelle) révolution pour le cancer du poumon ?

Article paru sur le site http://sante.lefigaro.fr/

Le Pr Jacques Cadranel*, oncologue, explique en quoi l’immunothérapie a bouleversé le traitement du cancer bronchopulmonaire, offrant des perspectives très prometteuses.

Professeur Jacques Cadranel, responsable du centre expert en oncologie thoracique à l’Hôpital Tenon.

La chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie ont longtemps été les seules armes disponibles pour vaincre un cancer qui restait, malgré tout, dévastateur. Puis sont apparues, il y a moins de dix ans, les thérapies ciblées. Elles ont ouvert une première brèche dans le mur auquel se heurtaient de nombreux patients en situation d’impasse thérapeutique.

L’immunothérapie a suivi, dont le premier médicament a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le cancer du poumon en 2015. En moins de cinq ans, l’immunothérapie a bouleversé le traitement du cancer bronchopulmonaire avec des perspectives très prometteuses

Un mode d’action totalement différent

La chimiothérapie conventionnelle et les thérapies ciblées cherchent à détruire, de façon directe, les cellules tumorales. L’immunothérapie agit tout autrement: elle aide le système immunitaire à reconnaître les cellules cancéreuses et à s’en débarrasser. À chaque instant, nous développons tous des cellules anormales, cancéreuses ou précancéreuses. Pour autant, nous ne développons pas tous un cancer. Notre système immunitaire y veille. Il est capable de repérer et d’éliminer tout ce qui est «différent» de l’organisme (non soi), qu’il s’agisse de germes ou de cellules cancéreuses.

Comment fonctionne l’immunothérapie?

Pour éviter son emballement permanent, le système immunitaire se préserve en organisant des «points de contrôle de l’immunité», où certaines cellules vont exprimer des sortes de «panneaux stop ou drapeaux blancs». Pour passer inaperçues du système immunitaire et lui échapper, les cellules cancéreuses se couvrent d’une cape d’invisibilité. L’un des moyens d’acquérir ce pouvoir d’invisibilité consiste à se recouvrir de protéines PD-L1, ces fameux panneaux stop. Les cellules cancéreuses ainsi recouvertes sont identifiées comme pacifiques par les cellules immunitaires, qui possèdent en surface un récepteur dédié à cette reconnaissance (PD-1). Une voie d’immunothérapie consiste à reprogrammer le système de reconnaissance PD-L1 – PD-1.

C’est ainsi qu’a été développé le nivolumab dans le cancer du poumon métastatique étendu et le pembrolizumab dans le cancer du poumon métastatique étendu. Le nivolumab et le pembrolizumab sont également indiqués dans d’autres types de cancer, à commencer par le mélanome. Le couple PD-L1 – PD-1 étant retrouvé dans des tumeurs de différents organes, une même molécule d’immunothérapie peut en effet se montrer efficace dans différents cancers. Cette efficacité transorganes constitue une nouvelle révolution en oncologie. L’immunothérapie concerne plutôt la population des fumeurs, qui représentent 80 % des patients atteints d’un cancer du poumon.

Quelle est l’efficacité de l’immunothérapie?

Une des principaux avantages de l’immunothérapie tient à son efficacité potentielle sur un grand nombre de patients atteints d’une tumeur bronchopulmonaire. Jusqu’à présent, les grandes avancées thérapeutiques étaient réservées à une petite proportion de malades, comme celles des non-fumeurs pour les thérapies ciblées. À l’inverse, l’immunothérapie concerne plutôt la population des fumeurs, qui représentent 80 % des patients atteints d’un cancer du poumon.

L’autre axe de progrès tient à la durée d’action de l’immunothérapie. Si une partie des malades voit disparaître leur cancer, chez certains on observe un effet qui peut se prolonger très longtemps ; leur état s’apparente à une maladie chronique et la tumeur n’évolue plus.

Parmi les patients atteints d’un cancer du poumon métastatique qui ont bénéficié d’une immunothérapie après échec d’une chimiothérapie conventionnelle, environ 20 % à 25 % en ont tiré un bénéfice en termes de survie de longue durée (environ trois ans).

Les résultats sont aussi spectaculaires en première ligne de traitement. L’immunothérapie est alors efficace, de façon très prolongée, chez 40 % des malades, à condition que leurs cellules cancéreuses expriment fortement la protéine PD-L1, ce qui représente 25 % à 35 % des cas.La tendance actuelle est de prescrire une immunothérapie à un nombre croissant de patients atteints d’un cancer du poumon métastatique.

Encore plus impressionnant est le cas de certains malades qui n’ont eu que quelques injections d’immunothérapie (arrêtée à cause d’un effet secondaire). L’efficacité du traitement a néanmoins persisté chez eux plusieurs mois, voire plusieurs années. Forte de tous ces succès, la tendance actuelle est de prescrire une immunothérapie à un nombre croissant de patients atteints d’un cancer du poumon métastatique, seule ou associée à d’autres méthodes de traitement (chimiothérapie, autre immunothérapie, thérapie ciblée…).

Des essais cliniques en cours

L’immunothérapie fait également l’objet d’essais cliniques dans les formes cette fois localisées (sans métastase) mais non opérables de cancer du poumon, soit environ 15 % des patients. Un essai thérapeutique récent a démontré que chez ces patients, après radio-chimiothérapie, le durvalumab, une nouvelle molécule d’immunothérapie, triple la durée de survie sans progression de la maladie en comparaison du placebo.

Cependant, des interrogations de fond persistent, telles la nécessité de disposer de marqueurs prédictifs fiables de réponse à l’immunothérapie. Ils permettraient de mieux identifier les patients à qui prescrire ce type de médicaments… Mais aussi ceux auxquels il ne faut pas en administrer. Une autre interrogation porte sur l’optimisation des coûts en définissant la durée optimale de ce traitement extrêmement cher.

*Cette expertise est extraite d’une intervention au 22e Congrès de pneumologie de la langue française qui a lieu du 26 au 28 janvier au Centre de Congrès de Lyon.

Jacques Cadranel